Chers professeurs, chers élèves,
La voie que nous suivons ensemble n’est pas soumise à des conditions matérielles. Certes, celles-ci influencent notre manière de pratiquer, mais, même tenus éloignés des dojos, nous n’en sommes pas moins des budoka, c’est-à-dire des individus engagés dans un processus d’évolution qui ne se limite pas au travail corporel.
Un budoka sait où il va, où il doit aller, où il ne doit pas aller. Chaque jour est un temps de pratique, chaque lieu que vous fréquentez, que vous traversez, un dojo.
Votre âme de budoka est solide. Elle vit dans chacun de vos actes, dans chacune de vos relations. Vous n’êtes jamais apeurés, demain n’est fait que d’heureuses perspectives, votre entourage n’est jamais une menace, vous ne vous connaissez pas d’ennemi.
Vous savez mobiliser votre énergie. Devant une adversité présentant un risque imminent, vous savez faire exploser votre énergie. Devant un adversaire persistant, vous êtes capable de maintenir votre circulation d’énergie, constamment, avec une persévérance infinie.
Quel que soit le problème rencontré, vous avez cette force du kime qui vous permet de décider de combattre, comment combattre, que combattre.
L’opposition nous fige, nous impose ses règles. Mais vous, aikidoka, êtes entrainés à penser au-delà du cadre ordinaire. Vous savez rediriger toute situation de conflit vers le cadre qu’impose la règle universelle, celle qui fait que rien ne peut être opposé à rien car tout appartient à un seul monde, tout s’appartient réciproquement. Vous êtes armés pour comprendre que toute épreuve est une opportunité de croissance intérieure, qu’elle n’a de sens que par la victoire à laquelle elle conduit.
Votre combativité a besoin que vous rapprochiez votre cœur de celui de l’opposant pour comprendre le sens du combat à mener, c’est-à-dire pour le comprendre lui. Quand l’adversaire est celui que nous connaissons actuellement, invisible et sans sensibilité donc forcément sans compassion, c’est de vous-même que vous devez vous rapprocher. C’est à l’intérieur, dans la profondeur biologique que se livre le combat.
En introduisant cette dimension, vie ou mort, ce virus ramène un questionnement fondamental :
Quel sens a ma conception ? Qui suis-je dans cette dimension biologique ? Quelle destinée ai-je choisie inconsciemment ? Comment me reconcevoir puisque tout ce qui remet en question ma vie m’impose ce renouvellement de ma conception ?
Un budoka n’a pas de doute quant à sa légitimité en tant qu’être. Vous pouvez répondre à toutes ces questions car la pratique vous a donné accès à votre âme et c’est là que se trouvent les réponses. Cela ne signifie pas que vous devez négliger les recommandations en vigueur. Ayez les gestes de prudence sans pour autant céder à la peur. Celle-ci est un poison pour la conscience qui vous interdit de répondre à la question essentielle et existentielle. Un budoka ne commet jamais d’imprudence, et en particulier il ne commet jamais celle de lancer un défi à la vie. Mais la pire imprudence, celle qui conduit irrémédiablement à la défaite, est de s’éloigner de soi, ce à quoi condamne la peur.
Le ki no nagare ne doit jamais cesser ni même ralentir. Le kime doit être toujours présent, force tranquille, bastion de la conscience. Et vous savez le faire exploser si besoin, comme une irruption volcanique remet l’environnement à son point de départ pour le fertiliser à nouveau, pour y faire revenir la vie. Sur l’Etna, quand le genêt endémique du volcan (Genista aetnensis) perse les coulées de lave, les oiseaux reviennent aussitôt et toute la flore redémarre.
Cette période de freins à la pratique cessera et nous avons assez travaillé notre capacité à tenir, à résister, à durer pour ne pas avoir besoin de nous demander quand.
Nous saurons tenir jusqu’au bout, et dans l’intervalle, inventer des manières de travailler différentes et vous serez les premiers à traverser la lave.
Cognard Hanshi.